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Quand Jupiter était à la place de Mars !

Voir le communiqué de presse INSU

Pourquoi Mars est si petite par rapport à la Terre ? Les deux planètes sont pourtant très voisines dans le Système Solaire interne. Les planètes se formant dans une même région ne devraient-elles pas être semblables (comme c’est le cas de la Terre et de Vénus) ? Un article publié dans le journal Nature le 5 Juin 2011, par K. Walsh et A. Morbidelli (Observatoire de la Côte d’Azur), S. Raymond (Observatoire de Bordeaux), D. O’Brien (Planetary Science Institute, Tucson, USA) et A. Mandell (Goddard Space Flight Center, Maryland, USA) fournit enfin une réponse à cette question cruciale et, par là même, révèlent une évolution totalement inattendue de Jupiter et Saturne lors des premières phases du Système Solaire. En particulier, Jupiter aurait pénétré dans le Système Solaire interne jusqu’ à la distance de Mars avant de repartir vers sa position actuelle bien plus lointaine du Soleil.

Les simulations du processus d’accrétion des planètes rocheuses dans la Système Solaire interne (Mercure, Vénus, la Terre et Mars) ont progressé d’une façon drastique durant la dernière décennie. « Les planètes synthétiques produites dans les expériences numériques avaient des propriétés fidèles à celles des planètes réelles, à une exception majeure près : les modèles produisaient une version de la planète Mars qui était toujours trop massive. », explique S. Raymond, expert de la formation des planètes telluriques. Or, en 2009, une étude de B. Hansen (UCLA, USA) a montré que, si l’on acceptait l’hypothèse que la distribution initiale du matériau solide dans le Système Solaire avait une limite externe à 1 Unité Astronomique du Soleil (1 UA = la distance Terre-Soleil), la planète Mars synthétique aurait une masse correcte dans quasiment toutes les simulations. Le problème, cependant, est d’expliquer l’existence de cette limite externe. En effet, une grande quantité de matériau existe aujourd’hui au-delà de 1 UA : la ceinture principale des astéroïdes entre 2 et 4 UA, les planètes géantes entre 5 et 30 UA et la ceinture de Kuiper encore plus lointaine. B. Hansen lui-même admettait qu’il n’avait pas d’explication naturelle à fournir pour le choix de ses conditions initiales.

La grande Virée de bord

« Le problème », poursuit Walsh « était de comprendre si la migration vers l’intérieur puis vers l’extérieur de Jupiter en traversant la région 2-4 UA pourrait être compatible avec l’existence actuelle de la ceinture des astéroïdes dans cette même région. Nous avons donc commencé un nombre considérable de simulations pour le vérifier ». Celles-ci ont été faites sur les processeurs du mésocentre SIGAMM de l’Observatoire de la Côte d’Azur. « Le résultat fut fantastique » sourit Walsh. « Les simulations ont montré que la migration de Jupiter était cohérente avec l’existence de la ceinture des astéroïdes, et en plus elle expliquait les propriétés observées dans celle-ci comme jamais auparavant ». Il existe en effet deux principales catégories d’astéroïdes dans la ceinture d’astéroïdes, associées avec deux classes de météorites récoltées sur Terre. En particulier, certains sont très secs, tandis que d’autres sont riches en eau, relativement similaires aux comètes. Walsh et ses collaborateurs montrent que le passage de Jupiter dans cette région l’a d’abord dépeuplé puis l’a repeuplé. Les corps dans la partie interne de la ceinture proviennent alors de la région située entre 1 et 3 UA du Soleil, et ceux dans la partie externe proviennent d’une région très distincte située entre et au-delà des planètes géantes. Cela explique naturellement l’origine des différences substantielles de composition des corps qui existent actuellement dans la Ceinture, qui restait un grand mystère.Evolution de la population des petits corps du système solaire durant la croissance et la migration des planètes géantes - © KJ Walsh et al., Nature 2011
Ainsi, la ceinture d’astéroïde, qui était a priori un soucis majeur dans ce scénario, s’avère le renforcer ! Les auteurs ont alors décidé d’appeler leur modèle le scénario de « la grande virée de bord » (Grand Tack Scénario en anglais), du fait du changement brutal de la direction du mouvement de Jupiter lorsqu’il atteint 1.5 UA du Soleil, analogue à la virée d’un voilier de course autour d’une balise.
« Un aspect stupéfiant du modèle de la grande virée de bord est qu’il implique que les planètes géantes de notre Système Solaire se sont déplacées de façon significative comme les planètes observées autour d’autres soleils », explique S. Raymond qui est aussi un expert des planètes extra-solaires. En fait, de nombreuses planètes extra-solaires sont découvertes à très grande proximité ou très loin de leur propre soleil, une propriété expliquée en invoquant des migrations de très grande ampleur au travers de leurs nébuleuses proto-planétaires respectives. Ainsi, le modèle de grande virée de bord montre que de ce point de vue, le Système Solaire n’est pas un cas exceptionnel.
Un autre aspect important du modèle de grande virée de bord est que les orbites finales des planètes géantes à la fin de leur migration sont précisément les orbites initiales du modèle appelé « modèle de Nice », publié dans le journal Nature il y a 6 ans par Morbidelli et ses collègues et qui explique l’évolution du Système Solaire à partir de l’époque à laquelle le modèle de grande virée de bord se termine, c’est-à-dire une fois le gaz du disque protoplanétaire totalement disparu. Pour Morbidelli, « les deux modèles se connectent de façon naturelle, chacun décrivant l’une des deux phases successives de l’histoire du Système Solaire ». C’est la première fois qu’un scénario unique et cohérent se dessine de l’histoire précoce de notre Système Solaire.

Contact chercheur : A. Morbidelli, Université de Nice-Sophia Antipolis, CNRS, Observatoire de la Côte d’azur. Téléphone : 04 92 00 30 51, email : morby@oca.eu
Contact Presse : C. Baudouin, Responsable communication, Observatoire de la Côte d’Azur.
Téléphone : 04 92 00 19 70, email : cyrille.baudouin@oca.eu