La collaboration scientifique LIGO et la collaboration Virgo annoncent officiellement que le 25 Avril, 2019, des ondes gravitationnelles ont été détectées,  provenant de la fusion de deux objets compacts. Nos collaborations ont appelé ce signal GW190425.

 

LIGO comprend deux détecteurs d'ondes gravitationnelles, l'un à Hanford, Washington et l'autre à Livingston, Louisiane . A l'instant de GW190425, le détecteur LIGO-Hanford était temporairement hors ligne, mais un signal puissant a été détecté dans le détecteur LIGO-Livingston. Le détecteur Virgo, situé à Cascina, en Italie, prenait également des données. Cependant, en raison de sa sensibilité plus faible par rapport à LIGO et en particulier parce que la source de GW190425 était probablement dans une région du ciel moins visible pour Virgo, le signal n'était supérieur au seuil de détection que dans LIGO-Livingston. Ceci fait que les données Virgo ont été très utiles pour comprendre les paramètres de la source de GW190425. Nous trouvons que la masse totale de cette binaire est comprise entre 3,3 et 3,7 fois la masse du Soleil. Compte tenu de cette gamme de masse, l'explication la plus plausible est que deux étoiles à neutrons sont entrées en collision à environ 520 millions d'années-lumière. Cette masse totale est significativement plus grande que celle de tout autre système d'étoiles à neutrons binaires connu.

Un peu d'histoire

GW190425 a été détecté pendant le troisième cycle d'observation appelé O3, qui a commencé le 1er avril 2019 et devait se terminer le 30 avril 2020. Avant ce cycle d'observation, il y avait eu deux autres cycles d'observation avec les détecteurs avancés, O1 (septembre 2015 - janvier 2016) et O2 (novembre 2016 - août 2017), voir ici pour plus de détails. Entre les séries d'observation, les détecteurs sont mis à niveau avec de nouvelles technologies pour augmenter leur sensibilité.

Pendant O2, LIGO et Virgo ont fait la première observation d'ondes gravitationnelles émises par un couple de deux étoiles à neutrons, connue sous le nom de GW170817. Cette collision d'étoiles à neutrons a également produit un signal électromagnétique. GW190425 est probablement notre deuxième observation d'une fusion d'étoiles à neutrons avec des ondes gravitationnelles. À ce jour, aucun homologue électromagnétique ou signal de neutrino n'a été identifié en association avec GW190425. Ce n'est pas surprenant, cependant, étant donné que la source était plus éloignée que GW170817 : le signal électromagnétique attendu devrait donc être plus faible. Mais le facteur le plus important est, sans doute, que GW190425 n'était pas localisé avec précision, mais dans une région couvrant environ 16% du ciel entier. Pour les télescopes conventionnels c'est une zone immense !

Comment nous savons que le GW190425 est astrophysique

Nous avons un certain nombre de programmes qui recherchent des signaux d'ondes gravitationnelles issus de la fusion d'objets compacts dans les données. Ils comparent les données observées avec des signaux théoriques prédits par la relativité générale en utilisant une technique appelée filtrage adapté. Nos pipelines de recherche ont identifié le signal GW190425 à partir des données LIGO-Livingston. L'étape suivante a consisté à estimer la probabilité de cet événement, ou plus exactement  la probabilité qu'un tel signal se produise par hasard en raison des caractéristiques de bruit du détecteur. Cette quantité est connue sous le nom de taux de fausses alertes. Pour cela, nous comparons la puissance de GW190425 à celle d'une distribution de bruit de fond. Nous avons calculé que le taux de fausses alertes pour GW190425 était d'un événement fortuit en 69 000 ans. La figure 2 montre que, sur les 219,5 jours combinés de bruit de fond, GW190425 se démarque clairement.

De plus, nous avons effectué les procédures de vérification comme nous l'avons fait pour les événements précédents : il s'agit d'examiner si un transitoire de bruit instrumental rare de LIGO-Livingston pourrait expliquer GW190425. Nous n'avons trouvé aucune perturbation environnementale ou instrumentale pouvant expliquer GW190425.

Pourquoi le GW190425 est-il si intéressant?

Nous avons calculé que la masse du plus lourd des deux objets compacts est comprise entre 1,61 et 2,52 fois la masse du Soleil, et la masse du deuxième objet entre 1,12 et 1,68 fois la masse du Soleil. Ces masses sont conformes aux masses mesurées d'autres étoiles à neutrons, et à ce que nous pourrions attendre de simulations d'explosion de supernova. L'étoile à neutrons la plus lourde connue par les observations électromagnétiques ( PSR J0740 + 6620 )  a une masse de 2,05 à 2,24 fois la masse du Soleil. Pour GW190425, nous ne pouvons pas exclure qu'un ou les deux objets soient des trous noirs. Cependant, l'interprétation la plus simple est que ces objets sont en effet des étoiles à neutrons. Si tel est le cas, que pouvons-nous déduire de GW190425 ?

Nous constatons qu'à certains égards, GW190425 n'est pas comme les autres étoiles à neutrons binaires de notre Galaxie. Alors que la masse de chaque étoile à neutrons est similaire à celles déjà connues, la masse totale est assez différente. La figure 3 montre les masses totales de dix systèmes d'étoiles à neutrons binaires galactiques qui devraient fusionner pendant la durée de vie de l'Univers. Par un ajustement d'une distribution normale  à ces 10 systèmes, nous trouvons que la masse binaire galactique moyenne est d'environ 2,69 fois la masse du Soleil, tandis que la masse de la binaire GW190425 est d'environ 3,4 fois la masse du Soleil. En fait, elle se situe à 5 écarts-types de la moyenne galactique. Cela suggère que ce couple d'étoiles, GW190425, s'est formé différemment des autres binaires galactiques connues.

Il existe deux façons de former une binaire de deux étoiles à neutrons. Une voie est appelée « canal d'évolution binaire isolé à enveloppe commune », où deux étoiles à neutrons se forment lorsque les deux étoiles d'une binaire subissent chacune une explosion de supernova. La deuxième voie est appelée « canal de formation dynamique ». Dans ce scénario, une binaire existe déjà, qui pourrait contenir deux étoiles à neutrons ou une étoile à neutrons et une étoile de séquence principale par exemple. Puis une autre étoile à neutrons rejoint les deux étoiles formant la binaire et expulse l'étoile de masse inférieure, laissant derrière elle une binaire contenant deux étoiles à neutrons. Une origine dynamique est peu probable pour GW190425 car ce phénomène devrait être plus rare, et ne devrait pas contribuer de manière significative au taux de fusion des étoiles à neutrons binaires. Si la binaire GW190425 s'est formé isolément, cela peut signifier que les étoiles à neutrons sont issues d'étoiles à faible métallicité. Ou encore que  lorsque la première explosion de supernova s'est produite et a créé la première étoile à neutrons dans la binaire, la masse de la deuxième étoile (qui n'était pas encore devenue supernova) aurait pu se transférer sur la première étoile à neutrons et la rendre plus lourde. Quoi qu'il en soit, la découverte de GW190425 suggére qu'il existe une population de systèmes binaires d'étoiles à neutrons avec des périodes orbitales inférieures à une heure, qui ne sont pas détectables par les levés électromagnétiques actuels.

Nous avons également cherché à savoir à quelle vitesse les étoiles à neutrons tournaient sur elles-mêmes. Malheureusement, nos résultats ne l'indiquent pas avec précision. Mais ils sont compatibles avec des rotations similaires à celles des deux binaires d'étoiles à neutrons galactiques les plus rapides et qui devraient fusionner au cours de la vie de l'Univers, PSR J0737–3039A / B et PSR J1946 + 2052. Dans ce dernier système, un pulsar fait un tour sur lui même toutes les 17 ms.

Enfin, si nous considérons que la découverte de GW190425 est bien celle d'une binaire d'étoiles à neutrons, et combinons ce résultat avec l'autre binaire d'étoiles à neutrons déjà observée (GW170817), nous pouvons estimer le nombre d'étoiles à neutrons qui entrent en collision dans un volume de l'univers chaque année : il se situe entre 250 et 2810 collisions par gigaparsec cube et par an.

Il est probable que GW190425 soit la deuxième observation d'une binaire d'étoiles à neutrons, et elle a révélé des informations nouvelles sur ces objets tout à fait étranges.

 

"GW190425: Observation of a Compact Binary Coalescence with Total Mass ~ 3.4 M ", B.P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration), The Astrophysical Journal Letters, Vol. 892, p. L3 (2020).